Nouvelle écrite au cours d’ateliers d’écriture animés par l’auteur Stéphanie Benson
Soudain, la nuit obscurcit le ciel déchiré par de violents éclairs. Le vent laisse échapper des hurlements qui se terminent en longs murmures plaintifs et lugubres, en écho à la pluie torrentielle qui se déverse en tambourinant contre les façades avant de s’écraser au sol en gros bouillons. La nature se déchaîne dans un combat effréné où tous les éléments s’expriment.
Dans ce petit lotissement pavillonnaire, situé entre « mer et montagne », la maison qui vient juste d’être achevée – une petite maison à l’intérieur confortable habitée depuis peu – craint pour sa santé. Elle sent en effet ses murs trembler sous les coups du tonnerre, menaçant de se fissurer sous les battements répétés de la pluie qui, sans ménagement, se fraye un chemin et cherche à s’infiltrer partout. L’habitation tente de recracher cette eau envahissante qu’elle dépose en traînées le long de ses murs, réduit en flaques sur son plancher … Pour l’instant, elle survit, mais suffoque. Son seul désir : garder le cap et résister aux affronts et aux mauvais traitements que lui inflige cette nature impétueuse, pour pouvoir accueillir dignement sa protégée, Zoé, dont elle attend le retour.
La pluie diluvienne fait parfaitement écho aux préoccupations de Zoé, ses idées noires sont à l’image de la nature en colère ; le ciel est au diapason avec son moral, alors qu’elle est sur la route du retour, après un vendredi particulièrement éprouvant. Il y a une demi-heure à peine, elle a appris son licenciement. Dans trois mois, elle quittera définitivement cette petite librairie où elle travaille depuis quelques années, qui aujourd’hui ne peut plus faire face, va devoir fermer ses portes, laissant sans emploi les quelques salariés qui la faisaient vivre. Elle songe à ces années où elle a exercé un métier passionnant, à cette petite maison qu’elle a pu s’offrir tout récemment en se restreignant, en économisant peu à peu. Tout ça pour quoi ? Sous ce déluge, elle s’inquiète pour son logement, se demande quelle sera l’étendue des dégâts. Aujourd’hui, tout lui paraît dérisoire. Lorsqu’elle arrête sa voiture devant chez elle, elle n’a qu’une seule envie faire table rase, tout nettoyer, balayer pour reconstruire sa vie qui actuellement n’est qu’amertume et déception. Aujourd’hui, la libellule sur laquelle tout glisse habituellement, s’est muée en lionne énervée. Cette trentenaire dynamique a la rage au cœur en tournant la clé dans la serrure. Elle bouillonne de colère, les poings serrés par tant de tensions accumulées. Ses yeux lancent des éclairs. Comme si, par la puissance de son regard, elle voulait figer la pluie, la faire disparaître. Ne plus laisser le moindre interstice de liberté à ces gouttes insidieuses. Zoé voudrait soulager son intérieur douillet, mais sait bien qu’à ’elle seule, elle ne pourra pas faire grand-chose avant que la pluie ne cesse. Au garage, elle a de grandes bâches. Elle va les chercher et en recouvre les sols pour les protéger le mieux possible contre l’eau ruisselante. Cette opération de premiers secours terminée, elle est transie car toujours trempée ; elle décide alors de prendre une bonne douche bien chaude, se change, se prépare un thé, fait du feu. Il est 18h30 et elle attend un mail important ; elle se connecte à Internet et a juste le temps de saisir son mot de passe avant que son ordinateur ne s’éteigne. D’un seul coup, plus rien sur l’écran. Plus de lumière non plus, sauf celle fournie par le feu dans la cheminée. Après avoir tapé rageusement du poing sur son bureau pour calmer ses nerfs, elle va à tâtons vérifier le tableau électrique. Le disjoncteur n’a pas sauté ; la panne doit être générale, en lien avec les conditions météorologiques. Dans l’attente, elle cherche des bougies pour adoucir un peu l’obscurité. N’en trouvant pas, elle s’emmitoufle dans son imperméable et va frapper à la porte d’à côté.
— Bonsoir monsieur.
— Bonsoir madame .
— Je suis votre nouvelle voisine – se présente Zoé. Enchantée !
— Moi, de même – répond Hervé en découvrant la jeune femme. brune aux cheveux mi- longs légèrement bouclés, devant lui – Que puis-je pour vous ?
— Désolée de vous déranger, mais je me tourne vers vous car avec la tempête qui sévit dehors, je n’ai plus d’électricité.
— Oui, je sais, tout le quartier est touché.
— Ah ! s’exclame Zoé dans une moue déçue, j’espérais que vous pourriez m’aider… Auriez-vous des bougies ou une lampe de poche ? Les miennes doivent être au fond d’un carton, je n’ai pas encore tout déballé.
— Entrez propose-t-il, car les conditions ne sont pas très clémentes. Je vais voir si je peux vous dépanner.
Cinq minutes plus tard, il revient avec plusieurs bougies qu’il tend à Zoé ; celle-ci le remercie chaleureusement et retourne chez elle en attendant que le courant soit rétabli dans le secteur. A l’extérieur, déjà la tempête ne gronde plus, mais les trombes d’eau continuent à s’abattre au-dessus de leurs têtes. À l’intérieur, Zoé est obligée de poser des récipients par terre pour recueillir l’eau qui continue de se répandre inlassablement sur le sol de sa cuisine. Puis, n’y tenant plus, elle décide soudain de quitter ce spectacle de désolation et d’aller oublier ailleurs cette maudite soirée.
Arrivée en ville, elle choisit un bar réputé pour sa musique jazzy, tout ce qu’elle aime, elle y échoue donc. Quelle surprise d’y retrouver le jeune homme chez qui elle a frappé tout à l’heure ! Ils font finalement plus ample connaissance. Lui aussi a souhaité fuir la morosité ambiante de son domicile en ce soir de « fin du monde ». Sa compagne est actuellement en déplacement professionnel et lui non plus n’a pas supporté la solitude dans un environnement aussi glauque que celui de ces dernières heures.
Tous deux discutent longtemps, se confiant l’un à l’autre. Zoé évoque ses soucis personnels : son avenir professionnel incertain, l’échec de sa vie amoureuse, le spectre des traites impayées si elle ne retrouve pas rapidement un emploi… Hervé, quant à lui, parle de son mariage l’an dernier, fait part de ses projets, de ses espoirs…
Après deux heures passées à échanger, ils ont oublié la pluie cinglante, et ont l’impression d’être de vieux amis tant la conversation se poursuit naturellement et sans nuages. Zoé sent soudain une main effleurer son épaule ; elle se retourne et découvre Esteban, un vieux copain qu’elle n’a pas revu depuis ses années lycée. Un immense sourire illumine son visage en réponse à celui du grand jeune homme brun qu’elle invite à s’asseoir à leur table.
Se joignant au duo, Esteban ravit ses compagnons avec des histoires drôles jusqu’à une heure avancée de la nuit. Zoé et lui se lancent des regards complices. Alors qu’Hervé se lève pour aller commander une boisson, Esteban prend Zoé par la main et l’entraîne sur la piste de danse en lui glissant à l’oreille « on va voir si tu as toujours le rythme dans la peau». Elle l’accompagne volontiers.
Finalement, ils se séparent à l’aube, en se promettant de se revoir bientôt. Lorsque Zoé regagne sa petite maison, elle a retrouvé une certaine sérénité ; la pluie tombe désormais délicatement. La nature a fini par s’assagir.
À l’instar de la météo, Zoé s’est calmée, elle entrevoit un horizon plus clair. Elle se glisse dans ses draps et s’endort apaisée en pensant qu’elle aura tout le week-end– elle ne travaille pas le lundi – pour remettre sa demeure en état et ébaucher des perspectives d’avenir professionnel.
Le lendemain matin, c’est un rai de lumière qui la tire de son sommeil : le soleil a repris ses droits et filtre à travers les persiennes, cela lui donnerait presque des envies d’évasion. Malheureusement, se dit-elle, les perspectives du week end ne sont guère attrayantes. Elle se lève et se dirige vers l’entrée. Soudain, le téléphone sonne, c’est Esteban. « Prépare ta valise, ne pose pas de questions. Je passe te chercher vers onze heures trente », dit-il un sourire dans la voix, avant de raccrocher. Le cœur de Zoé fait des bonds dans sa poitrine. Devant elle, s’ouvre un avenir plein de promesses. Elle rêve qu’on la surprenne : cela s’annonce plutôt bien…